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Almanart : un artiste doit-il être engagé ?
Gérard Fromanger : il y a les gens qui vont se promener et ceux qui vont manifester à la Bastille ; on a tendance à dire que les premiers ne font pas de politique ; or être engagé, c’est faire un effort, ce qui n’est pas naturel ; l’homme n’est pas né bon, par contre il peut progresser, pour cela tout engagement même tout petit, évite le pire, souvent.
Tous les artistes sont engagés ici et là, pas seulement ceux de la Figuration Narrative ; il n’y a pas d’artistes engagés et d’autres pas, tous ont besoin d’un pouvoir même tout petit, le pouvoir est une des données de la nature humaine.
Courte biographie de Gérard Fromanger > 1965, 1967 : galerie Taffary, Paris |
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At : tous les artistes, vraiment engagés ? Même par exemple Jeff Koons qui est un provocateur de type médiatique, Albert Oehlen qui est plutôt décoratif ?
GF : je vais assez loin dans l’idée d’engagement : tout artiste qui invente est engagé car il incarne l’idée que l’ont peut changer le monde, qu’il y a du nouveau tous les matins, qu’on peut rafraîchir tout, retrouver une virginité, une jeunesse dans tout ; il le prouve en créant quelque chose qu’on n’a jamais vu.
Ainsi il peut être décoratif, être scandaleux et médiatisé, comme ces exemples qui ont tous deux trouvé des formes, donné une image qu’on ne connaissait pas. Si Koons a repris des images popularisées kitsch, il a été beaucoup plus loin dans un engagement militant losqu’il a épousé la Ciciolina et se faisait photographier en train de faire l’amour ; il avait un discours militant sur la transparence de la sexualité, sur la fin du mensonge, sur le fait qu’il fallait que tout le monde apprenne la sexualité : je lui reconnais un immense travail parce que créer quelque chose c’est tellement difficile, cela demande tellement d’effort et c’est une forme de résistance à la peur.
Créer c’est résister à la mort, comme Deleuze l’a évoqué, à la mort intellectuelle, émotionnelle, historique et naturelle ; c’est une résistance aux idées toutes faites ! Ajouter son petit caillou blanc à l’immense histoire de la création, c’est une forme de résistance à la mort, un stimulant à l’idée de changer le monde.
At : quel est votre avis sur une certaine difficulté pour l’art plastique français à émerger sur les grands marchés étrangers ? Nombre de gens m’ont donné l’espoir du redémarrage de la représentativité des artistes français, mais statistiquement ils n’arrivent pas au même niveau que les anglo-saxons.
GF : Il y a plusieurs réponses à cette question...
La première, heureuse, est que dans les années 60 les intellectuels en France ont mis en avant l’idée de l’indépendance des peuples et de leurs propres cultures ; grande idée, mais ne pas se plaindre quand elle se réalise !
Le centralisme parisien est une deuxième raison : il n’y avait d’art moderne qu’à Paris, avec Picasso en haut de la pyramide, son copain Pignon à sa droite et le favori du jour à sa gauche ; ce centralisme est d’ailleurs contradictoire avec l’idée de l’indépendance des peuples.
La troisième raison fondamentale est l’économie : la France était une grande puissance économique au début du siècle et il n’y avait d’art qu’à Paris ; au vu de ce qui se passe aujourd’hui on comprend qu’il n’y a d’art qu’à New York, il est logique que l’empire américain soit culturellement très fort, il y a un très bon livre là-dessus : "comment New York vola l’idée d’art moderne"(1) ; les anglo-saxons pour le moment sont gagnants et veulent laisser dehors les français ; l’école de Paris les gêne encore, j’en ai eu des preuves : des marchands à New-York voulaient bien m’offrir un café mais pas monter dans ma galerie, ça jamais ; les américains sont d’un protectionnisme et d’un nationalisme...
Enfin, nous ne sommes plus les seuls à faire des choses neuves et intéressantes ; beaucoup de pays sont très sophistiqués et il y a aussi l’Océanie, l’Afrique, l’Asie... il faudra à l’avenir que le circuit passe aussi par eux pour échanger avec eux ; depuis longtemps ils sont oubliés, ils nous manquent.
At : les Chinois, eux, ne nous demandent pas notre avis, ils arrivent
GF : et ils vont se battre ; ils commencent par nous copier, comme les américains l’ont fait avec le surréalisme et l’art abstrait, avec Pollock notamment à partir de Masson, Breton et l’écriture automatique ; j’étais à Shanghai l’année dernière pour une exposition, les jeunes (on n’y voit que des jeunes) en veulent ! C’est quand même, sous la main de fer communiste, le capitalisme sauvage ; ils m’ont dit publiquement qu’ils nous ont pris beaucoup, qu’ils ont regardé la Figuration Narrative pour faire leur tableau d’aujourd’hui.
Mais je ne suis pas d’accord avec le défaitisme, le déclinisme français, car la Biennale de Venise a donné un prix à Daniel Buren, puis à Annette Messager, puis à Fabrice Hybert, tous des artistes vivant en France.
voir aussi :
sa rétrospective de Louvier & Evreux
At : il faudrait donc être fort, dominateur et conquérant pour réussir en art ?
GF : non, et nous ne sommes heureusement plus depuis 40 ans un pays impérialiste, conquérant et dominateur ; mais il faut être conquérant pour promouvoir son propre art, ce que fait l’Amérique par exemple en mettant des musées Guggenheim partout ; d’ailleurs tout le monde s’y met, la France multiplie des Beaubourg et des Louvre, et c’est tant mieux pour l’art en général, mais dangereux si un seul pays le faisait.
At : faut-il être impérialiste pour devenir un artiste reconnu ?
GF : certainement pas et ce serait scandaleux ! Il y a l’histoire de l’art et l’histoire du marché de l’art ; si parfois les deux se rejoignent l’histoire, elle, est incontournable et un jour ou l’autre s’impose ; le marché de l’art bidon ne dure pas ; le vrai marché de l’art est long à venir mais a une chance de correspondre à l’histoire : c’est ce qui nous arrive en ce moment pour la Nouvelle Figuration et la Figuration Narrative : notre histoire dans l’histoire de l’art rejoint, petit à petit, le marché.
At : il y a une accélération du temps dans notre civilisation, les jeunes veulent être reconnus très vite ; et comme les américains, les chinois ont une ambition extraordinaire, ils veulent arriver encore plus vite ; pourtant il faut du temps pour qu’un artiste émerge...
GF : Buren, Messager, Raynaud... ce sont des gens qui ont exposé avec nous au Salon de la Jeune Peinture en 1965, ce n’est pas nouveau, c’est long. Quand on est jeune on n’existe pas, les gens disent mon fils en fait autant, ce n’est pas de l’art, comme pour Van Gogh ou Cézanne où les critiques disaient : ce sont des tas de boue ; on pense à Yves Klein où tout le monde rigolait de son monochrome.
At : que donc leur dire, aux jeunes ?
GF : il n’y a pas grand-chose à leur dire : moi jeune, dès qu’on me disait quelque chose, je faisais le contraire ; ils font ce qu’ils veulent, je regarde ce qu’ils font mais je ne suis ni professeur, ni curé, ni moralisateur : je constate ; par exemple en 1972 quand on stigmatisait "l’exposition Pompidou", on était 300 artistes contre, et quand en 2006 je m’engage contre "l’exposition Villepin" je suis seul ; cinq ou six font de vagues déclarations mais personne d’autre ni dedans ni dehors ne bouge, bien que cela ait fait un débat dans le milieu sur le moment.
Je pense que l’époque actuelle est beaucoup plus cynique qu’elle ne l’était dans ma jeunesse ; nous avions un souci d’éthique, aujourd’hui la grande phrase c’est "où est mon intérêt ? » ; il y a de jeunes formidables comme artistes mais moins en courage politique ou éthique ; pourtant sur le plan de la création ils sont remarquables, c’est déjà beaucoup car la création est une forme de résistance, une forme d’engagement.
At : que pensez-vous en France de l’économie de l’art, quand je vois des jeunes un peu désespérés ? pour dix mille artistes il y a peut-être une centaine de galerie et quelques dizaines d’acheteurs par mois ; les tableaux s’accumulent dans les ateliers.
GF : c’est la société française qui est ainsi, sans règles pour dynamiser le marché ; dans les pays anglo-saxons les entreprises sont beaucoup plus stimulées, les personnes privées aussi, mais cela vient doucement.
Lorsque l’on voit de grandes expositions tel que Millet, Van Gogh, Cézanne, tous ces tableaux qui viennent de Washington, Philadelphie, c’est quand même dur : ils ont été faits ici ces tableaux... Mais à notre époque il y a peu de changement : comme au temps de Cézanne et de Van Gogh, peu de gens achètent un tableau à un Van Gogh d’aujourd’hui.
Mais je ne suis pas du tout pour l’assistance aux artistes ; une petite bourse, oui, une aide jusqu’à la fin des Beaux-arts, oui, mais personne n’est obligé d’être artiste, personne n’est obligé d’acheter, c’est une bataille à mener ! Moi j’ai vécu 12 ans dans 12 m2, pourtant j’étais content, j’étais au paradis. Je peux me tromper mais dans les pays où les artistes sont très soutenus, ils ne sont pas convaincants.
At : je ne parlais pas en terme de soutien de l’Etat mais en soutien de l’acheteur. Dans l’économie de marché, l’art est-il trop cher ou les gens n’ont-ils pas assez d’argent, ou n’en ont-ils pas assez envie ? N’est-ce pas curieux que les gens achètent 20 ou 30 euros un DVD qu’ils vont regarder une ou deux fois ?
GF : c’est aux artistes de faire des œuvres plus intéressantes qu’un DVD ! (je dis ça pour rire).
Il y a en France 300’000 personnes qui pourraient dépenser 20’000 €/an en oeuvres d’art sans souci ; c’est une question de choix, d’éducation dès l’école, d’incitation économique, de relation avec l’argent et le fisc.
At : mais il y a un rapport de 100 entre les prix !
GF : ça dépend, j’ai vécu pendant quatre ou cinq ans avec des œuvres que je vendais 100 francs, ayant compris que cela ne valait rien, qu’il n’y avait pas de marché ; au bout de deux ans quand j’avais 17-19 ans, j’ai fait de la pub pour celui-ci, des affiches pour celui-là, des encarts pour cet autre, et quand les copains dans ma chambre de bonne me disait : "ça va ?", moi orgueilleux de répondre : "oui ça va ».
Puis je me suis dit que quelque chose n’allait pas : j’ai un loyer faible, un téléphone, du matériel et pour avoir un minimum je suis obligé de faire ces conneries... alors quand les gens passeront je vais leur dire la vérité : "c’est très dur, je suis obligé de faire ci et ça" ; et alors voici que les copains me dirent "-fais moi voir tes dessins, combien tu les vends ?" comme je ne savais pas : "- donnez moi ce que vous voulez", "- 50 francs", "- d’accord"... Et depuis ce jour, depuis cinquante ans, j’ai toujours vécu de mon travail.
At : belle leçon ! Moi qui cherche de jeunes artistes aussi pour les aider, j’en trouve qui veulent vendre à des prix de galeries avant même d’avoir abordé le marché ; n’est-ce pas ridicule ?
GF : totalement d’accord : un jeune ça ne vaut rien (en terme financier), ça vaudra au bout de dix, vingt ans, quand il aura fait son histoire et qu’il aura convaincu ses contemporains.
Des accidents financiers peuvent aussi arriver tard : en 1992-93 alors que la Fiac était au plus bas, je rencontre dans ses couloirs le président de la Fiac qui me demande si ça va, je lui réponds : "- tu sais c’est la crise", "- est-ce que tu m’échangerais un tableau contre un litre de vin et un sandwich ?", "- non, pas encore", "- alors tout va bien" : il avait raison car je pouvais encore vendre 10000 fr, mille fois sa bouteille et son sandwich.
Ou au contraire dans les années 80 où la bulle financière fonctionnait, on m’a demandé des tableaux à mettre en ventes aux enchères ; mais je ne suis pas un artiste mort dont on vend l’atelier, ce n’est pas mon métier je ne vends pas en ventes publiques ! Car mes galeries ont pris des risques, ont fait des catalogues de mon histoire de peintre, de mes tableaux, alors qu’eux vous font passer directement de l’artiste à la vente, sans exposition, sans catalogue ; ils prennent l’argent et c’est tout.
Pourtant ce système a marché pendant quelques années auprès de centaines de jeunes ; dans les ateliers on entendait "tu as vu mon tableau il a fait 3000 fr, il est meilleur que le tien à 2000"... la critique d’art c’était l’argent, il y avait une relation directe entre ‘bien-pas bien’, et la somme d’argent ; tu n’as pas vendu, alors t’es nul...
Anecdote : étant le plus jeune, la première fois que j’ai exposé au Salon de Mai, j’ai retrouvé mon tableau dans les toilettes ; grâce à ça je suis devenu ami avec Giacometti qui y allant a vu mon tableau : "- mais qui a fait ça ? »,"- c’est moi !"
At : la chance n’est pax exclue ! Mais il faut bien quand même que l’artiste puisse vivre : est-ce choquant de faire un deuxième métier ?
GF : ce n’est pas choquant c’est ennuyeux, ça fait perdre du temps ; Cézanne avait la chance que son père banquier lui ait laissé de l’argent, Magritte a fait plein de publicité, Renoir a peint des assiettes à Limoges, c’est comme ça ; Giacometti que j’ai vu vivre était Diogène dans son tonneau : en 64 il gagnait la même chose que moi chez Aimé Maeght, personne ne voulait de ses oeuvres, il me disait si tu veux un tableau on fait un échange, mais je n’ai jamais osé.
Le manque ou l’excès d’argent est un grand problème, que chacun résout comme il est et comme il peut : Nicolas de Staël en est devenu fou, Picasso s’en réjouissait !
Merci Gérard de ces conseils fermes, sincères et réalistes !
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